Il y a bien entendu un contexte à cette mise en question du statut de l’art et de l’artiste, hérité du XXème siècle : les pratiques artistiques elles-mêmes se développent désormais à une échelle de masse et se diversifient à l’extrême ; la production de sens, de formes et de connaissances a cessé d’être le seul apanage des professionnels de l’expression. On repère des compétences artistiques à l’œuvre, ici et là, sans que les configurations et activités symboliques qu’elles informent soient revendiquées — ou puissent être récupérées — comme de l’art.
Que cette production ne cherche pas forcément la validation du monde de l’art, et n’ait cure des conventions et des valeurs qui le fondent, ne devrait pas nous empêcher d’identifier sa généalogie et la rationalité qui lui est sous-jacente. Et pourtant, la pensée esthétique, qui persiste à penser l’art commeune énigme à déchiffrer, ou comme un objet à interpréter, semble aujourd’hui bien mal outillée pour penser l’art dans ce sens élargi. Au-delà des logiques d’appropriation, qui consistent à récupérer dans le champ de l’art des activités et configurations symboliques non-artistiques; au-delà des logiques inverses mais symétriques, consistant à recycler des pratiques artistiques — c’est-à-dire initiées et gérées par des artistes — en dehors du champ de l’art ; mais à partir de l’extraterritorialité et la réciprocité qui semblent préfigurer l’avenir imprévisible de l’art, il s’agit de repenser le statut de l’art aujourd’hui.