Des peintures murales de Picasso
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Des peintures murales de Picasso en péril à Oslo
Publié le JEUDI, 19 MARS 2020
par Stefanie Waldek
La controverse fait rage sur les méthodes de conservation de peintures murales de Picasso sur le point d’être détachées des façades de bâtiments gouvernementaux norvégiens.
Des peintures murales de Picasso en péril à Oslo
© Getty Images
Les œuvres d’art menacées doivent être sauvées, il va sans dire, en particulier quand il s’agit de créations d’artistes majeurs comme Pablo Picasso. Or, deux de ses peintures murales situées dans un bâtiment du gouvernement à Oslo, en Norvège, sont au centre d’une controverse autour de leur méthode de conservation. En 1969, Picasso et l’artiste norvégien Carl Nesjar, ont réalisé cinq peintures sur les murs bétonnés intérieurs et extérieurs de Y-Block et H-Block, deux bâtiments modernistes du quartier Regjeringskvartalet, conçus par l’architecte norvégien Erling Viksjø. En juin 2011, ces bâtiments et leurs peintures murales étaient sur le point d’être promus monuments historiques. Mais un mois plus tard, un terroriste faisait exploser une voiture piégée, causant la mort de huit personnes. Soixante-neuf autres victimes étaient à déplorer sur l’île norvégienne d’Utøya lors de cette attaque.
Les bâtiments H-Block et Y-Block ont été endommagés par les explosions et depuis les attentats, ils sont restés vides, à tel point que le gouvernement d’Oslo a officiellement ordonné la démolition de Y-Block en 2014. Les deux peintures murales de Picasso et de Nesjar étaient censées être démantelées et sauvegardées. Le même sort attendrait les trois peintures de H-Block. Pourtant, les conservateurs et une partie de la communauté locale s’opposent à ce projet, plaidant la préservation de l’ensemble du complexe. « Les peintures murales ont été créées in situ et doivent être comprises comme un tout : les bâtiments, l’art et l’espace extérieur sont un ensemble indissociable », explique Gunhild Varvin, responsable de la communication du musée d’art moderne et contemporain Henie Onstad Kunstsenter, à Bærum, près de la capitale norvégienne, qui accueille actuellement une exposition d’estampes de Picasso. « Enlever les œuvres pour les intégrer à une nouvelle unité architecturale dévaluera sans aucun doute ce travail artistique.»
Des peintures murales de Picasso en péril à Oslo
© Getty Images
La controverse a permis de stopper le projet initial, mais en février dernier, le gouvernement a annoncé qu’il allait malgré tout entreprendre la démolition parallèlement à la sauvegarde de H-Block. Parmi les conservateurs scandalisés, Mari Hvattum, professeure d’histoire et de théorie de l’architecture à l’École d’architecture et de design d’Oslo prévient : « Conserver l’œuvre sans le bâtiment n’a aucun sens. » Elle va ainsi dans le sens de Graham Bell, membre du conseil d’administration d’Europa Nostra – un groupe de préservation du patrimoine culturel –, qui à deux reprises, a distingué les peintures murales de Picasso parmi les œuvres les plus menacées d’Europe. « Les peintures murales sont une installation exceptionnelle, une intégration par Picasso de thèmes qui s’adressent directement au peuple norvégien. Elles sont le fruit d’une collaboration intime entre un architecte et un artiste », dit-il. « Les relocaliser viendra rompre le dialogue, de sorte que ceux qui “l’entendront” ne percevront en réalité que la moitié du message sans saisir le sujet de la discussion. »
Malgré la perspective du destin de Y-Block, Gunhild Varvin, Mari Hvattum, Graham Bell et d’autres voix du monde de l’art, de l’architecture mais aussi du grand public, poursuivent la promotion de la préservation des peintures murales dans leur contexte d’origine, en particulier dans la perspective de la symbolique d’autant plus tragique du site depuis l’attentat de 2011. « Le terroriste n’a pas réussi à détruire les bâtiments, et le fait que les structures de H-block et Y-block demeurent stables et fortes devrait être une raison suffisante pour les préserver », martèle le responsable de la communication du musée de Bærum, Gunhild Varvin. « Le fait que l’État norvégien termine ce que le terroriste a commencé constitue une ironie particulièrement cruelle », ajoute pour sa part la professeure Mari Hvattum.
Pour Graham Bell de Nostra Europa, la démolition d’un site empreint d’une histoire aussi dramatique est particulièrement dérangeante. « Si tous les lieux européens témoins d’une tragédie devaient être effacés, nous occuperions un paysage post-apocalyptique aseptisé, dénué de mémoire, mais toujours pétri de souffrance. La démolition ne peut pas guérir un traumatisme. Seule la réconciliation avec des événements passés peut indiquer la voie de la thérapie », explique le membre du conseil d’administration du mouvement citoyen pour la sauvegarde du patrimoine culturel européen. « Il ne s’agit pas uniquement de préserver un bâtiment. Il s’agit aussi d’envisager la façon dont l’architecture et l’art entretiennent une relation inspirante et pérenne, même dans les périodes les plus sombres de l’Europe. »
Sujet de Stefanie Waldek tiré d’AD Espagne.